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annales du cyclisme d'Algérie / r.saadallah
Titre : annales du cyclisme d'Algérie Type de document : texte imprimé Auteurs : r.saadallah, Auteur ; d.benfars, Auteur Editeur : Alger: O.P.U, Année de publication : 1990 Importance : 401 p Format : 21 cmx14 cm Langues : Français (fre) Mots-clés : le cyclisme A1gerie le Vélo Sport Algérois l’Olympique d’Hussein Dey le Sport Cycliste Enfantin de Belcourt FICHE 1-Camions 2-haut-parleurs 3-chronométrage Index. décimale : 798.2- Equitation/Syclisme Résumé : Voici, à travers ce reportage des Actualités Françaises, un aperçu de ce qu’était le Tour d’Algérie Cycliste, en 1949, et de ce que représentait le cyclisme nord-africain à l’époque. Trois remarques à partir de ces images.
Tout d’abord, le cyclisme au seuil des années 1950 en Algérie est un sport suivi et populaire : la foule, européens et algériens au bord des routes et dans le stade.
Ensuite, le TAC, comme toute boucle nationale, est une conquête ou reconquête rituelle du territoire algérien et nord-africain. Le tour veut enseigner le pays. Mais, en même temps, avec la participation d’équipes métropolitaines et de coureurs étrangers il revêt une dimension internationale. C’est en quelque sorte un espace de rencontres multiples, en Algérie et entre l’Afrique du Nord et l’Europe.
Enfin, le cyclisme est un récit et sa représentation à travers les médias (non seulement actualités cinématographiques, mais également la radio, et la presse coloniale, métropolitaine et européenne) y est pour quelque chose.
Cette communication fait partie de mon projet de recherches intitulé ‘Cycling Identities’ sur la problématique de la sportivisation de l’espace algérien au XXème siècle. Ce projet se situe au carrefour de l’histoire de la construction de l’identité nationale, de l’histoire culturelle des sports et de l’histoire des médias. Il s’agit d’un travail d’archives et d’un projet d’histoire orale, en Algérie et en Europe. Je tiens à souligner que l’apport et le soutien d’anciens sportifs, présents ce soir, me sont très précieux.
Deux questions s’imposent : [FICHE : Zélasco et Kebaïli]
– Dans quelle mesure le cyclisme ouvre-t-il un espace de sociabilité intercommunautaire et dans quelle mesure favorise-t-il en même temps l’affirmation d’identités distinctes : musulmanes, pieds-noirs, nord-africaines?
– Qu’en est-il du discours médiatico-sportif dans la construction de ces identités ? Quelles images des sportifs sont transmises (de souche algérienne, européenne) à travers la presse ?
Sur un plan général, a été amplement étudiée la manière dont le sport permet aux Algériens l’accès à de nouveaux espaces qui leur étaient jusqu’alors peu accessibles : la sphère sportive est un espace public. Dans le système colonial, il permet également un côtoiement avec le milieu européen. Le sport peut être perçu à la fois comme un acte transgressif [grensoverschrijdend] et comme un espace de revendications. Mais je pense que l’histoire du cyclisme d’Algérie est non seulement l’histoire de la construction de l’identité nationale – algérienne, perspective dominante dans l’historiographie, mais avant tout et pour la période qui nous intéresse ce soir, l’histoire de la construction de multiples identités qui se croisent, s’entremêlent, et parfois, se heurtent. [FICHE: L’équipe NA] Ainsi, comment cette sportivisation de l’espace colonial s’articule-t-elle avec ces enjeux identitaires ? Qu’en est-il de la signification du sport dans la construction des identités (« construction of identities »).[1] Qu’en est-il de la place du cyclisme dans la construction sociale des identités ? [FICHE: ZAAF, TAC]
L’étude la plus importante nous est fournie par les journalistes Rabah Saâdallah et Djamel Benfars: Annales du cyclisme d’Algérie (Alger 1990). Une chronique riche et dense, source incontournable. Ce projet, entamé dans les années 1980, était basé sur un travail de presse et de dizaines d’entretiens avec des anciens coureurs cyclistes algériens. Parallèllement au livre, sortait aussi un documentaire télévisé intitulé : Les gloires du passé. L’historique du cyclisme algérien 1903-1980. Il s’agit d’une série documentaire en 13 épisodes.
Ces Annales constituent une analyse du sport dans son contexte national, tout comme l’étude réalisée par le journaliste sportif Chehat Fayçal (Le Livre d’or du sport algérien 1962-1992 (1993) ou les écrits de Youcef Fatès (Sport et tiersmonde (1994); De l’Indochine à l’Algérie: la jeunesse en mouvements des deux côtés du miroir colonial, 1940-1962 (2003)). Fayçal aussi bien que Fatès consacrent quelques lignes au cyclisme.
Cette perspective intra muros, nous la retrouvons également chez bon nombre d’auteurs, journalistes et historiens, qui ont fait l’analyse du cyclisme français. Le contexte national domine. Cette approche classique et connue, qui lie le sport à la construction d’identité nationale, est à compléter dans une perspective transnationale. Effectivement, je pense que “the transnational turn”, c’est-à-dire l’analyse de l’objet culturel dans son contexte international, approche en vogue depuis quelques années, pourrait être une approche riche en matière d’histoire du sport dans un contexte colonial. L’historien irlandais Philip Dine, travaillant dans le domaine de French Cultural Studies, figure parmi les collègues qui s’intéressent aux constructions sociales et culturelles à travers le sport qui favorisent une approche interdisciplinaire et placent leur objet d’étude aussi bien dans le contexte de la France métropolitaine qu’outremer. De même pour l’ouvrage L’Empire des sports. Une histoire de la mondialisation culturelle (paru en 2010) de Pierre Singaravélou et Julien Sorez, qui s’interrogent notamment sur les “circulations des pratiques sportives en situations impériales”.
Dans ces approches théoriques et ces études empiriques, le cyclisme dans son contexte colonial, est marginalisé. Mis à part un article sur le Tour d’Algérie Cycliste de Philip Dine dans L’Empire des Sports, les universitaires du sport portent leur attention sur d’autres disciplines que celle du vélo (souvent le football, ou la boxe). Ainsi, dans un numéro spécial de la Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales Insaniyat de 2006 intitulé « Le Sport : Phénomène et pratiques », le cyclisme est absent. Absence d’autant plus remarquable que sur ce sport dans un contexte colonial français, il existe l’analyse d’Évelyne Combeau-Mari, Sport et Décolonisation. La Réunion de 1946 à la fin des années 60 (1998). L’on retrouve quelques passages consacrés au cyclisme dans les travaux de Bernadette Deville-Danthu sur le sport colonial en Afrique occidentale, Le sport en noir et blanc (1997), et ceux de Sébastien Verney sur le tour d’Indochine, L’Indochine sous Vichy (2012).
Sur l’histoire du vélo en général, il existe une vaste historiographie, tant sur le cyclisme comme pratique sociale que sportive. Le Tour de France, par exemple, à été amplement étudié sous ses aspects commerciaux et ses structures mythiques à travers ses représentations dans la presse. Il en va de même pour le Giro d’Italia ou le cyclisme flamand, également considérés comme puissants symboles identitaires. Dans tous ces cas, ce sport s’est révélé un puissant vecteur d’identification régionale et/ou nationale. De là, il est tout à fait légitime d’étudier le cyclisme, souvent considéré le sport “le plus français qui soit”, dans son contexte colonial, en l’occurrence l’Algérie française.
Une dernière remarque dans cette introduction concerne l’essence même du cyclisme. Comment caractériser ce sport par rapport aux autres pratiques sportives ? Souvent, on souligne sa singularité. Celle-ci tient au fait que, d’abord, il s’agit d’un sport mécanique : il exige l’usage d’un matériel coûteux qui entraîne ensuite sa maintenance. Ensuite, c’est un sport qui ne se conforme pas au modèle de diffusion républicain classique : scolaire et orchestré par l’État. Le cyclisme est une activité a-scolaire, contrairement au football, à la natation ou à la gymnastique ; il ne figure pas au rang des disciplines sportives éducatives de par sa proximité avec le monde de l’argent (les grandes marques cyclistes) et de par sa dimension de spectacle (notamment à travers sa relation avec la presse). Enfin, sport atypique parce que, plus que le football, le cyclisme « vit dans la narration ». J’y reviens encore.
Dans ce qui suit, je fais le tour de mes recherches en vous proposant trois volets. Le premier porte sur un événement sportif précis: le Tour d’Algérie Cycliste en tant que ‘marker of identity’. Un deuxième volet s’interroge sur le lien complexe qu’entretient le cyclisme musulman avec le sentiment national, notamment à travers l’association sportive VSM. Enfin, un troisième volet porte sur l’ambivalence des identités sportives à travers l’étude d’une personnalité cycliste, Ahmed Kebaïli.
Le TAC
Tout comme en France métropolitaine, le cyclisme en Afrique du Nord prend ses origines dans le dernier quart du XIXème siècle. Sans pour autant évoquer l’histoire du cyclisme en Algérie, faute de temps, voici quelques remarques qui résument son avènement. Le cyclisme devient rapidement un sport populaire. Des courses et critériums sont organisées sur piste d’abord – le premier vélodrome est créé à Alger en 1897, sur la route ensuite. Dans les grands centres urbains des clubs sont créés : Club Olympique Algérois ; Vélo Club Oranais. Les coureurs qui se font connaître en Algérie et en métropole sont des colons. Pendant les premières décennies du XXème siècle, le cyclisme, dans le processus d’appropriation sportive du territoire algérien, est le signe privilégié d’une identité française.
Après la Première Guerre Mondiale, graduellement, des coureurs musulmans se font remarquer. Parmi les premières vedettes, signalons dans les années 1920, Abdelkader Kebylène, qui court et termine le premier Tour d’Algérie Cycliste en 1929 [FICHE : Tour d’Algérie 1929], et dans les années 1930 Abdelkader Abbès, le premier Algérien à courir et terminer le Tour de France en 1936. La même année, sont créés les premières associations musulmanes cyclistes parmi lesquelless le Vélo Sport Musulman (VSM), à Alger, à l’initiative d’un européen et avec l’aide des fondateurs du Mouloudia Club Algérois (‘le doyen’, date de 1921 – dans la vie associative le football précède le vélo).
Au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, le cyclisme nord-africain est intégré à la Fédération Française de Cyclisme (FFC). Décision administrative qui témoigne de cette « deuxième occupation coloniale », une volonté de la part de ‘Paris’ d’investir en Algérie. D’après l’hebdomadaire de la FFC, La France Cycliste, au seuil des années 1950, l’Algérie compte quelque 2000-2500 licences et le nombre de clubs se situe autour de 75. À titre comparatif, en métropole, il y a environ 2000 associations et 60.000 licences. Impossible d’évaluer, faute de sources, parmi les licences nord-africains, le partage entre musulmans et européens, mais il est hors de doute que les algériens étaient très minoritaires – je pense quelques centaines tout au plus.
Les années 1945-1954 peuvent être considérées comme l’âge d’or du cyclisme d’Algérie. Pendant cette période, selon Chehat Fayçal, le vélo « disputait sans complexe la vedette au football ». [FICHE : Oran] Les épreuves les plus connues (les critériums de L’Echo d’Oran, de l’Echo d’Alger ainsi que la reprise du Tour d’Algérie en 1949) voient la participation des marques métropolitaines (Terrot, Automoto, Alcyon, Mercier) et de coureurs européens (belges, hollandais, suisses et italiens) parmi lesquels les plus grandes vedettes, tels Coppi et Bobet. Ces épreuves intègrent l’Algérie plus qu’auparavant dans le cyclisme international, c’est-à-dire, à l’époque, européen. La rencontre va dans les deux sens : pendant quelques années, le sport arrive même à un certain degré de professionnalisation, ce dont témoigne la participation des meilleurs algériens et pieds noirs aux épreuves européennes (Dauphiné Libéré, Le Tour de Suisse) et la participation à la grand-messe du cyclisme, le Tour de France, d’une équipe nord-africaine mixte comprenant les meilleurs nord-africains. Comment cette équipe a-t-elle été perçu e par la presse coloniale et métropolitaine ? L’anecdote Zaaf[2] dans le Tour de 1950 est à elle seule très connue et fait partie de la mythologie du Tour et constitue en soi un objet d’étude. Le phénomène est apparemment très suivi en Algérie, en témoigne la création d’un Club de Supporters de l’Équipe Nord-Africaine présidé par Vincent Ferrer (famille d’Hubert Ferrer, personnalité connue dans les milieux d’anciens cyclistes d’Algérie), dont le siège social est la brasserie Le Coq Hardi. [FICHE: Équipe Afrique du Nord 1950]
Plus que jamais, au seuil des années 1950, le cyclisme nord-africain intègre le cyclisme européen et, inversement, le cyclisme continental découvre le Maghreb. Il y a toute une analyse à faire sur ces rencontres, ces échanges, pour ne pas dire ces ‘migrations sportives saisonnières’ et leurs représentations, leurs mémoires et leurs significations sportives, culturelles et identitaires. [FICHE : Zaaf en Belgique] À titre d’exemple, les rencontres et l’amitié entre le coureur cycliste flamand, Hilaire Couvreur, et Abdelkader Zaaf. Zaaf est allé à Bruges, et inversement, Couvreur, le double vainqueur du Tour d’Algérie Cycliste, appelé dans le peloton ‘Hilaire l’Africain’, s’est installé pendant quelques mois avec sa femme et son enfant chez Zaaf à Chebli. Le fils de Couvreur, qui m’a apporté son témoignage, se rappelait, alors même qu’il était tout jeune, son séjour en Algérie. Cela m’intéresserait de savoir comment Zaaf a été perçu par la presse Flamande – la Flandre étant un haut lieu de cyclisme à l’époque (et l’est toujours aujourd’hui). [FICHE : Flamands à Alger]
Plus généralement, aller en Afrique du Nord, pour des cyclistes métropolitains et plus encore pour des Européens, souvent issus de couches modestes, répétons-le, à une époque où l’Europe ne se remettait que lentement de la Deuxième Guerre Mondiale, c’est lourd de sens et c’est bien plus qu’une simple aventure : pour ces jeunes c’est la découverte d’un monde inconnu, nouveau, exotique. Il est par exemple fascinant d’analyser les discours fabriqués sur l’Algérie (sur l’Orient pour se référer à Edward Said) par des coureurs néerlandais : l’Algérie fascine (références de type Mille et Une Nuits) et inspire la crainte. Ils se reconnaissent dans la culture citadine et littorale, les grandes villes de côte, Alger, Oran, Bône, la France, mais dès qu’ils traversent l’arrière-pays ( étapes vers Bou-Saada, Biskra), ils perdent leurs références et leurs repères : le paysage (désertique) aussi bien que la population locale (arabophone) font peur. Ils veulent surtout ne pas être lâchés par le peloton !
Le Tour d’Algérie, preuve de francité
Le cyclisme peut être analysé comme un puissant « marker of identity » qui se rapporte, parmi d’autres, aux multiples interactions spatiales. Le TAC est une épreuve de ‘francité’: 1) Une ‘célébration’ de l’Algérie française. Les villes et villages des départements d’Oran, d’Alger et de Constantine sont liés à tour de rôle en tant que lieux de passage ou ville-étapes. Ils soulignent à la fois la cohésion, les ressemblances et différences entre régions et paysages ; 2) Une reconquête rituelle du territoire nord-africain.
Comme l’a souligné Phil Dine, le TAC est d’abord et avant tout « une course hautement symbolique. » L’arrière-fond, c’est l’optimisme renouvelé de l’Algérie française d’après-guerre. Toujours selon Dine, cette course se veut la démonstration de la stabilité et de la permanence française en Algérie, malgré les signes de plus en plus évidents de la contestation nationaliste.[3] Cette épreuve sur plusieurs semaines se veut la copie conforme du modèle métropolitain, le Tour de France. Il s’agit de « calquer, le plus possible »[4] l’organisation de l’illustre modèle. Pour en arriver là, le TAC, selon le journaliste sportif Tony Arbona de La Dépêche Quotidienne, sollicite le support de L’Équipe et de Jacques Goddet.
Pendant les 5 ans de son existence, 1949-1953, le tour en tant que ‘célébration’ de l’Algérie française[5] lie à tour de rôle les villes et villages des départements d’Oran, d’Alger et de Constantine en tant que lieux de passage ou ville-étapes. L’épreuve sportive souligne ainsi à la fois la cohésion (ressemblances) mais aussi les différences entre régions et paysages. Le Tour d’Algérie c’est une valorisation du sol algérien, mais non pas des géographies idéales, puisque le grand sud n’est jamais inclus dans l’épreuve. [FICHE : 1949] Pas une boucle à la française mais plutôt un rectangle, de l’Est à l’Ouest et retour. Les itinéraires successifs du TAC sont des variantes de ‘beating the bounds’, une version moderne d’une randonnée rituelle par laquelle, dans le passé, une communauté villageoise affirmait l’intégrité de son territoire.[6] Comme reconquête rituelle du territoire nord-africain, cette épreuve véhicule ses propres rites et symboliques.
Parenthèse : les maquettes des affiches après-guerre sont réalisées par l’illustrateur et écrivain Gaston Ry (René Rostagny). Surtout l’affiche 1949, très réussie, une véritable œuvre d’art. Notons, et je pense que ce n’est pas anodin, que Rostagny publia en 1967 La Grande honte, une histoire de la guerre d’Algérie on ne peut plus revancharde.
Ces deux épreuves constituent une exception puisque par la suite, aucun tour d’Algérie n’arrive à s’organiser sur une durée trois semaines sur cette axe ; les boucles deviennent non seulement incomplètes, mais imparfaites. [FICHE : plans 1951 et 1952] Signalons que dans deux boucles seulement, celles de 1951 et 1952, l’intégrité du territoire est affirmée, et paradoxalement par des excursions à l’étranger, respectivement en Tunisie (avec des villes étapes Bizerte et Tunis) et au Maroc (ville étape d’Oujda).
Le parcours désigne un territoire dont il le met en scène et en accentue, au passage, la beauté. L’expérience du Tour d’Algérie se veut esthétique. L’Algérie traversée est une Algérie magnifiée : La Dépêche le 17 mars 1953 : « Si le Tour est un spectacle pour les pays qu’il traverse, ces pays le lui rendent bien. (…) Montagnes, campagnes, visages, voix humaines (…) l’Algérie toute entière. » [FICHE : imagettes paysages] Tout comme son modèle, le Tour de France, le Tour d’Algérie exprime une volonté d’illustrer le territoire, d’affirmer « un sentiment d’appartenance ». Il veut « enseigner le pays ».[7]
De 1949 à 1953, les reportages de la presse écrite démontrent cette francité essentielle du territoire. Un exemple tiré de l’Écho d’Alger [je cite] : « Dans le moindre hameau, le passage du Tour d’Algérie était comme le jour de fête nationale : on a placé les enfants des écoles agitant des petits drapeaux tricolores le long du trottoir ; on a pavoisé comme pour le 14 juillet ; on a sorti précautionneusement son costume des dimanches ; on a convoqué la fanfare pour jouer la ‘Marseillaise’ au passage des coureurs. »[8] [FICHE : imagettes foules] Et le journaliste Finaltéri, dans sa rubrique ‘Tout autour du Tour’, d’écrire [je cite]: « Nous avons retrouvé hier matin, l’ambiance des grands départs sur l’immense place du Gouvernement d’Alger. (…) la foule s’était massée derrière les barrières tricolores, les mêmes que celles utilisées lors des défiles des grandes fêtes nationales (…) Séparément, ou par groupes, les coureurs pénétrèrent dans l’enceinte, sportivement applaudis. Ce fut surtout le cas pour les algérois Zelasco, Chibane et Zaaf. » (La Dépêche, 1950).
Dans l’évocation des différents paysages, la Métropole, la mère-patrie, n’est jamais loin. Dans le tour de 1952, est évoquée la ville-étape de Ténès. Suivons le texte dans le Livre d’or [FICHE: Ténès] [je cite]: “Ténès, située à mi-chemin entre Alger et Mostaganem sur la route du littoral est certainement l’une des stations côtières les plus agréables à connaître et à fréquenter. Édifiée à l’endroit où le rivage s’amollit brusquement, après les escarpements vertigineux qui le caractérisent depuis Cherchell, elle offre à l’Est comme à l’Ouest une extrême variété de cirques couronnées de pins, comparables aux plus beaux coins de la Côte d’Azur, alternant avec des rives sablonneuses ou rocheuses, paradis des baigneurs et des amateurs d’oursins et de pêche.” [fin de citation].
Une manière différente, mais récurrente, de se référer au passé et aux systèmes de valeurs français, sont dans le Tour même, les rites du départ. Ainsi, l’exemple d’une cérémonie devant le monument aux morts à Sidi Bel-Abbès. Il y en avait aussi à Tunis et à Mostaganem. Plusieurs lectures possibles : la commémoration d’un passé glorieux, partagé, les tranchées de 14-18 ? Et, à travers le souvenir de la guerre, les références symboliques : virilité, honneur, persévérence ? [FICHE : monument aux morts]
Le TAC et la modernité
Cette francité du cyclisme s’exprime également à travers sa modernité. Déjà, en tant que sport européen introduit par les colons au 19e siècle, le cyclisme incarne le progrès et l’avenir, la modernité occidentale. Il s’agit, d’un point de vue historiographie, d’une analyse assez classique.
Plus que tout autre épreuve cycliste en Algérie au seuil des années 1950, c’est le Tour d’Algérie qui devient la pierre angulaire du mariage commercial de la presse et de l’industrie du vélo en Algérie, en l’occurrence La Dépêche Quotidienne d’Alger et la marque Terrot. [FICHE : le journal et Terrot] Celle-ci sponsorise l’équipe qui comprend le plus de vedettes nord-africaines, indigènes et européens. Plus que dans les critériums, c’est d’abord le Tour d’Algérie, et ensuite bien évidemment le Tour de France, qui servent d’espaces d’héroïsation. Pour La Dépêche / Champion et Terrot c’est, parmi d’autres coureurs, Ahmed Kebaïli qui sera lancé comme vedette. J’y reviens dans un instant.
À la fin des années 1940, plus que jamais, le cyclisme d’Algérie est visualisé et enseigné à travers l’écran. Nous constatons autour des épreuves sportives une médiatisation accrue : à part la radio et la presse coloniale déjà présentes, le nombre de titres de la presse métropolitaine qui couvrent les événements sportifs en Afrique du Nord augmente considérablement. Chose importante également, le Tour est couvert par les actualités cinématographiques. Manière moderne de montrer l’œuvre française : l’infrastructure et l’industrie, mais aussi des institutions telles que l’Armée et l’Eglise. C’est classique – cf. la photo de 1929 – mais beaucoup plus médiatisé. [FICHE: ponts, Kouba]
Dans le discours médiatico-sportif, aussi bien en 1929 que dans les années 1950, nous retrouvons de nombreuses juxtapositions ou plutôt oppositions des deux sphères, indigène et française ou occidentale. La photo issue du Miroir des Sports 1929 ressemble à la photo du tour dans les années 1950 [FICHE: dromadaire] et les imagettes tirées des Actualités Françaises montrent bien les Temps Modernes face au Moyen-âge : le coureur cycliste face à l’indigène monté sur un dromadaire ou une caravane d’ânes ; le vélo face à une charrette à âne ou à une charrue à bœuf [FICHE: âne, bœuf].
Le discours de la modernité apparaît aussi à travers la réclame, la participation de marques cyclistes et publicitaires. La promotion pour les marques commerciales va de pair avec la promotion du pays, ce dont témoignent les livres d’or, innovation d’après-guerre, aussi bien guides sportifs que guides touristiques.
Après l’exploitation du journal, suit l’exploitation de la route avec la “caravane blanche” comme “un nouveau mécanisme de propagande” (La Dépêche, 11 mars 1950). [FICHE: 1. Camions; 2. haut-parleurs; 3. chronométrage] Spectaculaire le Tour l’est en effet, avec son peloton et sa caravane publicitaire, véritable procession. Les voitures, les camions, les haut-parleurs, les slogans, le chronométrage, les annonces, tous indices d’avenir. Peloton et caravane véhiculent avec eux l’image du progrès, de la nouveauté, du modernisme. Avec les années, la caravane publicitaire s’amplifient et en 1953, elle compte 250 personnes.[9]
Dernier signe de progrès, les tentatives de développer le cyclisme féminin. [FICHE] En tant qu’espace public, la sphère sportive a occasionnellement permit aux femmes, surtout européennes, d’y accéder. Il n’y a que très peu de renseignements sur cette thématique. Le travail, à travers la presse coloniale, n’est pas encore fait. À Alger, c’était notamment Madame Christine de Stampa. Avec son mari très engagé dans le milieu cycliste, elle présidait le Vélo Club de Birmandreis, qui était à l’origine du développement de sections féminines dans les clubs algérois : notamment l’Union Cycliste Algéroise (présidé par M. de Stampa), le Vélo Sport Algérois, l’Olympique d’Hussein Dey et le Sport Cycliste Enfantin de Belcourt. Dès 1950, se déroulent des épreuves réservées aux dames dans le Département d’Alger. C’est beaucoup dire : les femmes qui pratiquent ce sport dans l’Algérois ne dépassent pas la dizaine. Dans le sillage du Tour d’Algérie Cycliste de 1950, il est organisé un Trophée féminin qui engage neuf participantes et qui relie Castiglione à Alger.[10]annales du cyclisme d'Algérie [texte imprimé] / r.saadallah, Auteur ; d.benfars, Auteur . - [S.l.] : Alger: O.P.U,, 1990 . - 401 p ; 21 cmx14 cm.
Langues : Français (fre)
Mots-clés : le cyclisme A1gerie le Vélo Sport Algérois l’Olympique d’Hussein Dey le Sport Cycliste Enfantin de Belcourt FICHE 1-Camions 2-haut-parleurs 3-chronométrage Index. décimale : 798.2- Equitation/Syclisme Résumé : Voici, à travers ce reportage des Actualités Françaises, un aperçu de ce qu’était le Tour d’Algérie Cycliste, en 1949, et de ce que représentait le cyclisme nord-africain à l’époque. Trois remarques à partir de ces images.
Tout d’abord, le cyclisme au seuil des années 1950 en Algérie est un sport suivi et populaire : la foule, européens et algériens au bord des routes et dans le stade.
Ensuite, le TAC, comme toute boucle nationale, est une conquête ou reconquête rituelle du territoire algérien et nord-africain. Le tour veut enseigner le pays. Mais, en même temps, avec la participation d’équipes métropolitaines et de coureurs étrangers il revêt une dimension internationale. C’est en quelque sorte un espace de rencontres multiples, en Algérie et entre l’Afrique du Nord et l’Europe.
Enfin, le cyclisme est un récit et sa représentation à travers les médias (non seulement actualités cinématographiques, mais également la radio, et la presse coloniale, métropolitaine et européenne) y est pour quelque chose.
Cette communication fait partie de mon projet de recherches intitulé ‘Cycling Identities’ sur la problématique de la sportivisation de l’espace algérien au XXème siècle. Ce projet se situe au carrefour de l’histoire de la construction de l’identité nationale, de l’histoire culturelle des sports et de l’histoire des médias. Il s’agit d’un travail d’archives et d’un projet d’histoire orale, en Algérie et en Europe. Je tiens à souligner que l’apport et le soutien d’anciens sportifs, présents ce soir, me sont très précieux.
Deux questions s’imposent : [FICHE : Zélasco et Kebaïli]
– Dans quelle mesure le cyclisme ouvre-t-il un espace de sociabilité intercommunautaire et dans quelle mesure favorise-t-il en même temps l’affirmation d’identités distinctes : musulmanes, pieds-noirs, nord-africaines?
– Qu’en est-il du discours médiatico-sportif dans la construction de ces identités ? Quelles images des sportifs sont transmises (de souche algérienne, européenne) à travers la presse ?
Sur un plan général, a été amplement étudiée la manière dont le sport permet aux Algériens l’accès à de nouveaux espaces qui leur étaient jusqu’alors peu accessibles : la sphère sportive est un espace public. Dans le système colonial, il permet également un côtoiement avec le milieu européen. Le sport peut être perçu à la fois comme un acte transgressif [grensoverschrijdend] et comme un espace de revendications. Mais je pense que l’histoire du cyclisme d’Algérie est non seulement l’histoire de la construction de l’identité nationale – algérienne, perspective dominante dans l’historiographie, mais avant tout et pour la période qui nous intéresse ce soir, l’histoire de la construction de multiples identités qui se croisent, s’entremêlent, et parfois, se heurtent. [FICHE: L’équipe NA] Ainsi, comment cette sportivisation de l’espace colonial s’articule-t-elle avec ces enjeux identitaires ? Qu’en est-il de la signification du sport dans la construction des identités (« construction of identities »).[1] Qu’en est-il de la place du cyclisme dans la construction sociale des identités ? [FICHE: ZAAF, TAC]
L’étude la plus importante nous est fournie par les journalistes Rabah Saâdallah et Djamel Benfars: Annales du cyclisme d’Algérie (Alger 1990). Une chronique riche et dense, source incontournable. Ce projet, entamé dans les années 1980, était basé sur un travail de presse et de dizaines d’entretiens avec des anciens coureurs cyclistes algériens. Parallèllement au livre, sortait aussi un documentaire télévisé intitulé : Les gloires du passé. L’historique du cyclisme algérien 1903-1980. Il s’agit d’une série documentaire en 13 épisodes.
Ces Annales constituent une analyse du sport dans son contexte national, tout comme l’étude réalisée par le journaliste sportif Chehat Fayçal (Le Livre d’or du sport algérien 1962-1992 (1993) ou les écrits de Youcef Fatès (Sport et tiersmonde (1994); De l’Indochine à l’Algérie: la jeunesse en mouvements des deux côtés du miroir colonial, 1940-1962 (2003)). Fayçal aussi bien que Fatès consacrent quelques lignes au cyclisme.
Cette perspective intra muros, nous la retrouvons également chez bon nombre d’auteurs, journalistes et historiens, qui ont fait l’analyse du cyclisme français. Le contexte national domine. Cette approche classique et connue, qui lie le sport à la construction d’identité nationale, est à compléter dans une perspective transnationale. Effectivement, je pense que “the transnational turn”, c’est-à-dire l’analyse de l’objet culturel dans son contexte international, approche en vogue depuis quelques années, pourrait être une approche riche en matière d’histoire du sport dans un contexte colonial. L’historien irlandais Philip Dine, travaillant dans le domaine de French Cultural Studies, figure parmi les collègues qui s’intéressent aux constructions sociales et culturelles à travers le sport qui favorisent une approche interdisciplinaire et placent leur objet d’étude aussi bien dans le contexte de la France métropolitaine qu’outremer. De même pour l’ouvrage L’Empire des sports. Une histoire de la mondialisation culturelle (paru en 2010) de Pierre Singaravélou et Julien Sorez, qui s’interrogent notamment sur les “circulations des pratiques sportives en situations impériales”.
Dans ces approches théoriques et ces études empiriques, le cyclisme dans son contexte colonial, est marginalisé. Mis à part un article sur le Tour d’Algérie Cycliste de Philip Dine dans L’Empire des Sports, les universitaires du sport portent leur attention sur d’autres disciplines que celle du vélo (souvent le football, ou la boxe). Ainsi, dans un numéro spécial de la Revue algérienne d’anthropologie et de sciences sociales Insaniyat de 2006 intitulé « Le Sport : Phénomène et pratiques », le cyclisme est absent. Absence d’autant plus remarquable que sur ce sport dans un contexte colonial français, il existe l’analyse d’Évelyne Combeau-Mari, Sport et Décolonisation. La Réunion de 1946 à la fin des années 60 (1998). L’on retrouve quelques passages consacrés au cyclisme dans les travaux de Bernadette Deville-Danthu sur le sport colonial en Afrique occidentale, Le sport en noir et blanc (1997), et ceux de Sébastien Verney sur le tour d’Indochine, L’Indochine sous Vichy (2012).
Sur l’histoire du vélo en général, il existe une vaste historiographie, tant sur le cyclisme comme pratique sociale que sportive. Le Tour de France, par exemple, à été amplement étudié sous ses aspects commerciaux et ses structures mythiques à travers ses représentations dans la presse. Il en va de même pour le Giro d’Italia ou le cyclisme flamand, également considérés comme puissants symboles identitaires. Dans tous ces cas, ce sport s’est révélé un puissant vecteur d’identification régionale et/ou nationale. De là, il est tout à fait légitime d’étudier le cyclisme, souvent considéré le sport “le plus français qui soit”, dans son contexte colonial, en l’occurrence l’Algérie française.
Une dernière remarque dans cette introduction concerne l’essence même du cyclisme. Comment caractériser ce sport par rapport aux autres pratiques sportives ? Souvent, on souligne sa singularité. Celle-ci tient au fait que, d’abord, il s’agit d’un sport mécanique : il exige l’usage d’un matériel coûteux qui entraîne ensuite sa maintenance. Ensuite, c’est un sport qui ne se conforme pas au modèle de diffusion républicain classique : scolaire et orchestré par l’État. Le cyclisme est une activité a-scolaire, contrairement au football, à la natation ou à la gymnastique ; il ne figure pas au rang des disciplines sportives éducatives de par sa proximité avec le monde de l’argent (les grandes marques cyclistes) et de par sa dimension de spectacle (notamment à travers sa relation avec la presse). Enfin, sport atypique parce que, plus que le football, le cyclisme « vit dans la narration ». J’y reviens encore.
Dans ce qui suit, je fais le tour de mes recherches en vous proposant trois volets. Le premier porte sur un événement sportif précis: le Tour d’Algérie Cycliste en tant que ‘marker of identity’. Un deuxième volet s’interroge sur le lien complexe qu’entretient le cyclisme musulman avec le sentiment national, notamment à travers l’association sportive VSM. Enfin, un troisième volet porte sur l’ambivalence des identités sportives à travers l’étude d’une personnalité cycliste, Ahmed Kebaïli.
Le TAC
Tout comme en France métropolitaine, le cyclisme en Afrique du Nord prend ses origines dans le dernier quart du XIXème siècle. Sans pour autant évoquer l’histoire du cyclisme en Algérie, faute de temps, voici quelques remarques qui résument son avènement. Le cyclisme devient rapidement un sport populaire. Des courses et critériums sont organisées sur piste d’abord – le premier vélodrome est créé à Alger en 1897, sur la route ensuite. Dans les grands centres urbains des clubs sont créés : Club Olympique Algérois ; Vélo Club Oranais. Les coureurs qui se font connaître en Algérie et en métropole sont des colons. Pendant les premières décennies du XXème siècle, le cyclisme, dans le processus d’appropriation sportive du territoire algérien, est le signe privilégié d’une identité française.
Après la Première Guerre Mondiale, graduellement, des coureurs musulmans se font remarquer. Parmi les premières vedettes, signalons dans les années 1920, Abdelkader Kebylène, qui court et termine le premier Tour d’Algérie Cycliste en 1929 [FICHE : Tour d’Algérie 1929], et dans les années 1930 Abdelkader Abbès, le premier Algérien à courir et terminer le Tour de France en 1936. La même année, sont créés les premières associations musulmanes cyclistes parmi lesquelless le Vélo Sport Musulman (VSM), à Alger, à l’initiative d’un européen et avec l’aide des fondateurs du Mouloudia Club Algérois (‘le doyen’, date de 1921 – dans la vie associative le football précède le vélo).
Au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale, le cyclisme nord-africain est intégré à la Fédération Française de Cyclisme (FFC). Décision administrative qui témoigne de cette « deuxième occupation coloniale », une volonté de la part de ‘Paris’ d’investir en Algérie. D’après l’hebdomadaire de la FFC, La France Cycliste, au seuil des années 1950, l’Algérie compte quelque 2000-2500 licences et le nombre de clubs se situe autour de 75. À titre comparatif, en métropole, il y a environ 2000 associations et 60.000 licences. Impossible d’évaluer, faute de sources, parmi les licences nord-africains, le partage entre musulmans et européens, mais il est hors de doute que les algériens étaient très minoritaires – je pense quelques centaines tout au plus.
Les années 1945-1954 peuvent être considérées comme l’âge d’or du cyclisme d’Algérie. Pendant cette période, selon Chehat Fayçal, le vélo « disputait sans complexe la vedette au football ». [FICHE : Oran] Les épreuves les plus connues (les critériums de L’Echo d’Oran, de l’Echo d’Alger ainsi que la reprise du Tour d’Algérie en 1949) voient la participation des marques métropolitaines (Terrot, Automoto, Alcyon, Mercier) et de coureurs européens (belges, hollandais, suisses et italiens) parmi lesquels les plus grandes vedettes, tels Coppi et Bobet. Ces épreuves intègrent l’Algérie plus qu’auparavant dans le cyclisme international, c’est-à-dire, à l’époque, européen. La rencontre va dans les deux sens : pendant quelques années, le sport arrive même à un certain degré de professionnalisation, ce dont témoigne la participation des meilleurs algériens et pieds noirs aux épreuves européennes (Dauphiné Libéré, Le Tour de Suisse) et la participation à la grand-messe du cyclisme, le Tour de France, d’une équipe nord-africaine mixte comprenant les meilleurs nord-africains. Comment cette équipe a-t-elle été perçu e par la presse coloniale et métropolitaine ? L’anecdote Zaaf[2] dans le Tour de 1950 est à elle seule très connue et fait partie de la mythologie du Tour et constitue en soi un objet d’étude. Le phénomène est apparemment très suivi en Algérie, en témoigne la création d’un Club de Supporters de l’Équipe Nord-Africaine présidé par Vincent Ferrer (famille d’Hubert Ferrer, personnalité connue dans les milieux d’anciens cyclistes d’Algérie), dont le siège social est la brasserie Le Coq Hardi. [FICHE: Équipe Afrique du Nord 1950]
Plus que jamais, au seuil des années 1950, le cyclisme nord-africain intègre le cyclisme européen et, inversement, le cyclisme continental découvre le Maghreb. Il y a toute une analyse à faire sur ces rencontres, ces échanges, pour ne pas dire ces ‘migrations sportives saisonnières’ et leurs représentations, leurs mémoires et leurs significations sportives, culturelles et identitaires. [FICHE : Zaaf en Belgique] À titre d’exemple, les rencontres et l’amitié entre le coureur cycliste flamand, Hilaire Couvreur, et Abdelkader Zaaf. Zaaf est allé à Bruges, et inversement, Couvreur, le double vainqueur du Tour d’Algérie Cycliste, appelé dans le peloton ‘Hilaire l’Africain’, s’est installé pendant quelques mois avec sa femme et son enfant chez Zaaf à Chebli. Le fils de Couvreur, qui m’a apporté son témoignage, se rappelait, alors même qu’il était tout jeune, son séjour en Algérie. Cela m’intéresserait de savoir comment Zaaf a été perçu par la presse Flamande – la Flandre étant un haut lieu de cyclisme à l’époque (et l’est toujours aujourd’hui). [FICHE : Flamands à Alger]
Plus généralement, aller en Afrique du Nord, pour des cyclistes métropolitains et plus encore pour des Européens, souvent issus de couches modestes, répétons-le, à une époque où l’Europe ne se remettait que lentement de la Deuxième Guerre Mondiale, c’est lourd de sens et c’est bien plus qu’une simple aventure : pour ces jeunes c’est la découverte d’un monde inconnu, nouveau, exotique. Il est par exemple fascinant d’analyser les discours fabriqués sur l’Algérie (sur l’Orient pour se référer à Edward Said) par des coureurs néerlandais : l’Algérie fascine (références de type Mille et Une Nuits) et inspire la crainte. Ils se reconnaissent dans la culture citadine et littorale, les grandes villes de côte, Alger, Oran, Bône, la France, mais dès qu’ils traversent l’arrière-pays ( étapes vers Bou-Saada, Biskra), ils perdent leurs références et leurs repères : le paysage (désertique) aussi bien que la population locale (arabophone) font peur. Ils veulent surtout ne pas être lâchés par le peloton !
Le Tour d’Algérie, preuve de francité
Le cyclisme peut être analysé comme un puissant « marker of identity » qui se rapporte, parmi d’autres, aux multiples interactions spatiales. Le TAC est une épreuve de ‘francité’: 1) Une ‘célébration’ de l’Algérie française. Les villes et villages des départements d’Oran, d’Alger et de Constantine sont liés à tour de rôle en tant que lieux de passage ou ville-étapes. Ils soulignent à la fois la cohésion, les ressemblances et différences entre régions et paysages ; 2) Une reconquête rituelle du territoire nord-africain.
Comme l’a souligné Phil Dine, le TAC est d’abord et avant tout « une course hautement symbolique. » L’arrière-fond, c’est l’optimisme renouvelé de l’Algérie française d’après-guerre. Toujours selon Dine, cette course se veut la démonstration de la stabilité et de la permanence française en Algérie, malgré les signes de plus en plus évidents de la contestation nationaliste.[3] Cette épreuve sur plusieurs semaines se veut la copie conforme du modèle métropolitain, le Tour de France. Il s’agit de « calquer, le plus possible »[4] l’organisation de l’illustre modèle. Pour en arriver là, le TAC, selon le journaliste sportif Tony Arbona de La Dépêche Quotidienne, sollicite le support de L’Équipe et de Jacques Goddet.
Pendant les 5 ans de son existence, 1949-1953, le tour en tant que ‘célébration’ de l’Algérie française[5] lie à tour de rôle les villes et villages des départements d’Oran, d’Alger et de Constantine en tant que lieux de passage ou ville-étapes. L’épreuve sportive souligne ainsi à la fois la cohésion (ressemblances) mais aussi les différences entre régions et paysages. Le Tour d’Algérie c’est une valorisation du sol algérien, mais non pas des géographies idéales, puisque le grand sud n’est jamais inclus dans l’épreuve. [FICHE : 1949] Pas une boucle à la française mais plutôt un rectangle, de l’Est à l’Ouest et retour. Les itinéraires successifs du TAC sont des variantes de ‘beating the bounds’, une version moderne d’une randonnée rituelle par laquelle, dans le passé, une communauté villageoise affirmait l’intégrité de son territoire.[6] Comme reconquête rituelle du territoire nord-africain, cette épreuve véhicule ses propres rites et symboliques.
Parenthèse : les maquettes des affiches après-guerre sont réalisées par l’illustrateur et écrivain Gaston Ry (René Rostagny). Surtout l’affiche 1949, très réussie, une véritable œuvre d’art. Notons, et je pense que ce n’est pas anodin, que Rostagny publia en 1967 La Grande honte, une histoire de la guerre d’Algérie on ne peut plus revancharde.
Ces deux épreuves constituent une exception puisque par la suite, aucun tour d’Algérie n’arrive à s’organiser sur une durée trois semaines sur cette axe ; les boucles deviennent non seulement incomplètes, mais imparfaites. [FICHE : plans 1951 et 1952] Signalons que dans deux boucles seulement, celles de 1951 et 1952, l’intégrité du territoire est affirmée, et paradoxalement par des excursions à l’étranger, respectivement en Tunisie (avec des villes étapes Bizerte et Tunis) et au Maroc (ville étape d’Oujda).
Le parcours désigne un territoire dont il le met en scène et en accentue, au passage, la beauté. L’expérience du Tour d’Algérie se veut esthétique. L’Algérie traversée est une Algérie magnifiée : La Dépêche le 17 mars 1953 : « Si le Tour est un spectacle pour les pays qu’il traverse, ces pays le lui rendent bien. (…) Montagnes, campagnes, visages, voix humaines (…) l’Algérie toute entière. » [FICHE : imagettes paysages] Tout comme son modèle, le Tour de France, le Tour d’Algérie exprime une volonté d’illustrer le territoire, d’affirmer « un sentiment d’appartenance ». Il veut « enseigner le pays ».[7]
De 1949 à 1953, les reportages de la presse écrite démontrent cette francité essentielle du territoire. Un exemple tiré de l’Écho d’Alger [je cite] : « Dans le moindre hameau, le passage du Tour d’Algérie était comme le jour de fête nationale : on a placé les enfants des écoles agitant des petits drapeaux tricolores le long du trottoir ; on a pavoisé comme pour le 14 juillet ; on a sorti précautionneusement son costume des dimanches ; on a convoqué la fanfare pour jouer la ‘Marseillaise’ au passage des coureurs. »[8] [FICHE : imagettes foules] Et le journaliste Finaltéri, dans sa rubrique ‘Tout autour du Tour’, d’écrire [je cite]: « Nous avons retrouvé hier matin, l’ambiance des grands départs sur l’immense place du Gouvernement d’Alger. (…) la foule s’était massée derrière les barrières tricolores, les mêmes que celles utilisées lors des défiles des grandes fêtes nationales (…) Séparément, ou par groupes, les coureurs pénétrèrent dans l’enceinte, sportivement applaudis. Ce fut surtout le cas pour les algérois Zelasco, Chibane et Zaaf. » (La Dépêche, 1950).
Dans l’évocation des différents paysages, la Métropole, la mère-patrie, n’est jamais loin. Dans le tour de 1952, est évoquée la ville-étape de Ténès. Suivons le texte dans le Livre d’or [FICHE: Ténès] [je cite]: “Ténès, située à mi-chemin entre Alger et Mostaganem sur la route du littoral est certainement l’une des stations côtières les plus agréables à connaître et à fréquenter. Édifiée à l’endroit où le rivage s’amollit brusquement, après les escarpements vertigineux qui le caractérisent depuis Cherchell, elle offre à l’Est comme à l’Ouest une extrême variété de cirques couronnées de pins, comparables aux plus beaux coins de la Côte d’Azur, alternant avec des rives sablonneuses ou rocheuses, paradis des baigneurs et des amateurs d’oursins et de pêche.” [fin de citation].
Une manière différente, mais récurrente, de se référer au passé et aux systèmes de valeurs français, sont dans le Tour même, les rites du départ. Ainsi, l’exemple d’une cérémonie devant le monument aux morts à Sidi Bel-Abbès. Il y en avait aussi à Tunis et à Mostaganem. Plusieurs lectures possibles : la commémoration d’un passé glorieux, partagé, les tranchées de 14-18 ? Et, à travers le souvenir de la guerre, les références symboliques : virilité, honneur, persévérence ? [FICHE : monument aux morts]
Le TAC et la modernité
Cette francité du cyclisme s’exprime également à travers sa modernité. Déjà, en tant que sport européen introduit par les colons au 19e siècle, le cyclisme incarne le progrès et l’avenir, la modernité occidentale. Il s’agit, d’un point de vue historiographie, d’une analyse assez classique.
Plus que tout autre épreuve cycliste en Algérie au seuil des années 1950, c’est le Tour d’Algérie qui devient la pierre angulaire du mariage commercial de la presse et de l’industrie du vélo en Algérie, en l’occurrence La Dépêche Quotidienne d’Alger et la marque Terrot. [FICHE : le journal et Terrot] Celle-ci sponsorise l’équipe qui comprend le plus de vedettes nord-africaines, indigènes et européens. Plus que dans les critériums, c’est d’abord le Tour d’Algérie, et ensuite bien évidemment le Tour de France, qui servent d’espaces d’héroïsation. Pour La Dépêche / Champion et Terrot c’est, parmi d’autres coureurs, Ahmed Kebaïli qui sera lancé comme vedette. J’y reviens dans un instant.
À la fin des années 1940, plus que jamais, le cyclisme d’Algérie est visualisé et enseigné à travers l’écran. Nous constatons autour des épreuves sportives une médiatisation accrue : à part la radio et la presse coloniale déjà présentes, le nombre de titres de la presse métropolitaine qui couvrent les événements sportifs en Afrique du Nord augmente considérablement. Chose importante également, le Tour est couvert par les actualités cinématographiques. Manière moderne de montrer l’œuvre française : l’infrastructure et l’industrie, mais aussi des institutions telles que l’Armée et l’Eglise. C’est classique – cf. la photo de 1929 – mais beaucoup plus médiatisé. [FICHE: ponts, Kouba]
Dans le discours médiatico-sportif, aussi bien en 1929 que dans les années 1950, nous retrouvons de nombreuses juxtapositions ou plutôt oppositions des deux sphères, indigène et française ou occidentale. La photo issue du Miroir des Sports 1929 ressemble à la photo du tour dans les années 1950 [FICHE: dromadaire] et les imagettes tirées des Actualités Françaises montrent bien les Temps Modernes face au Moyen-âge : le coureur cycliste face à l’indigène monté sur un dromadaire ou une caravane d’ânes ; le vélo face à une charrette à âne ou à une charrue à bœuf [FICHE: âne, bœuf].
Le discours de la modernité apparaît aussi à travers la réclame, la participation de marques cyclistes et publicitaires. La promotion pour les marques commerciales va de pair avec la promotion du pays, ce dont témoignent les livres d’or, innovation d’après-guerre, aussi bien guides sportifs que guides touristiques.
Après l’exploitation du journal, suit l’exploitation de la route avec la “caravane blanche” comme “un nouveau mécanisme de propagande” (La Dépêche, 11 mars 1950). [FICHE: 1. Camions; 2. haut-parleurs; 3. chronométrage] Spectaculaire le Tour l’est en effet, avec son peloton et sa caravane publicitaire, véritable procession. Les voitures, les camions, les haut-parleurs, les slogans, le chronométrage, les annonces, tous indices d’avenir. Peloton et caravane véhiculent avec eux l’image du progrès, de la nouveauté, du modernisme. Avec les années, la caravane publicitaire s’amplifient et en 1953, elle compte 250 personnes.[9]
Dernier signe de progrès, les tentatives de développer le cyclisme féminin. [FICHE] En tant qu’espace public, la sphère sportive a occasionnellement permit aux femmes, surtout européennes, d’y accéder. Il n’y a que très peu de renseignements sur cette thématique. Le travail, à travers la presse coloniale, n’est pas encore fait. À Alger, c’était notamment Madame Christine de Stampa. Avec son mari très engagé dans le milieu cycliste, elle présidait le Vélo Club de Birmandreis, qui était à l’origine du développement de sections féminines dans les clubs algérois : notamment l’Union Cycliste Algéroise (présidé par M. de Stampa), le Vélo Sport Algérois, l’Olympique d’Hussein Dey et le Sport Cycliste Enfantin de Belcourt. Dès 1950, se déroulent des épreuves réservées aux dames dans le Département d’Alger. C’est beaucoup dire : les femmes qui pratiquent ce sport dans l’Algérois ne dépassent pas la dizaine. Dans le sillage du Tour d’Algérie Cycliste de 1950, il est organisé un Trophée féminin qui engage neuf participantes et qui relie Castiglione à Alger.[10]Réservation
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